DOLPHIN EMBASSY
FABLES DU 30eme PARALLÈLE
Le 30eme Parallèle Nord a sa place parmi les nombreuses merveilles du Monde. Et s’il nous fascine, c’est parce que tout au long de cet anneau, les plus anciens points d’ancrage de la race humaine se succèdent : le Caire, Marrakech, Persépolis, Petra, Lhassa, Delhi...
On y trouve aussi les plus beaux monuments naturels : le Mont Kailas, les Montagnes Sacrées de Chine, le Triangle des Bermudes, les îles volcaniques de Hawaï et des Canaries... ainsi que les principaux habitats de la plus ancienne espèce douée de conscience au monde : les dauphins et les baleines.
C’est une étrange coïncidence. Un hasard sans précédent. Une telle collection de merveilles ne s’explique guère que par la mythologie, et encore : il était une fois une île au beau milieu de l’océan ; humains et dauphins y avaient créé une civilisation merveilleuse, et vivaient en totale harmonie avec la nature. Mais soudain, en l’espace d’un jour et d’une nuit, l’île cessa d’exister. Les survivants du désastre s’enfuirent dans deux directions opposées, les uns vers l’Ouest, les autres vers l’Est. S’orientant d’après les étoiles, ils suivirent les chemins qui leur étaient familiers, le long de leurs cieux et de leur latitude d’origine. À chaque peuple rencontré ils enseignaient leurs plus beaux savoirs : l’art de guérir, l’art de la joie, de l’amour, l’art de faire des miracles. De leurs enseignements naquirent des cultures et des villes somptueuses.
Ils devinrent légendaires, appelés parfois les « Sept Sages » ou « l’Ambassade Nomade » selon les lieux, parfois encore les « Messagers de l’Atlantide ». Leurs légendes sont parvenues jusqu’à nous, mais le savoir qu’elles transmettaient s’est perdu, oublié, fragmenté... Il n’a cependant pas totalement disparu, et survit, codé dans nos gênes, caché au sein des capacités dormantes de l’homme, et dans la vraie nature de la vie.
La nouvelle Ambassade Nomade a entrepris de parcourir le globe, le long du 30eme Parallèle Nord.
FABLE N°1 : UN ARC EN CIEL A MINUIT
La veille de notre départ, nous avons organisé une fête sur la plage. Nous avons invité des amis, bu de bons vins, garni les tables de viandes, et discuté de sujets profonds et fous... Puis, à minuit très exactement, vint le moment de sonner le gong – le premier des douze gongs de notre périple, accordés, chacun, à la fréquence de la Terre. Des gongs fabriqués à notre demande par les meilleurs fondeurs, selon une formule ancienne et secrète alliant sept métaux différents. L’Univers résonne en eux...
Après avoir longuement débattu de la meilleure façon de nous y prendre, nous nous sommes rangés à l’avis d’Arkady Shilkloper qui voulait, au premier coup de gong, se mettre à jouer de son Cor des Alpes - cet étrange instrument long de six mètres dont il joue habituellement - dans la même tonalité. On dit que quand Arkady joue, des arcs en ciel se lèvent. Nous lui avons donc demandé s’il pouvait en faire apparaître un à minuit. Il a répondu en riant qu’il souffle juste dans un tuyau, et ne commande pas aux arcs en ciel. Que ce n’étaient que des coïncidences.
À minuit précises Slava Polunin a remonté son pantalon et s’est dirigé, pieds nus sur le sable humide de la plage, vers l’endroit où le gong était suspendu. S’emparant d’un maillet spécial, balançant son bras, il a frappé le premier coup. Arkady s’est mis à jouer du Cor des Alpes. Et soudain, l’arc en ciel est apparu. Un véritable arc en ciel.
Bien sûr, tout a toujours une explication rationnelle : un projecteur éclairant le gong, derrière lequel les vagues de la mer à marée haute éparpillaient en l’air de minuscules gouttelettes d’eau, tandis que le son puissant du gong – lui aussi, dans son essence, une vague transmise par l’air – avait structuré naturellement les particules d’eau...
Il y a toujours une explication à tout.
Mais les Arcs en Ciel n’apparaissent pas comme ça.
FABLE N°2 : UNE HISTOIRE DE CONFIANCE
Notre voyage a débuté à midi, le 21 décembre 2012. Nous n’avions pas choisi cette date par hasard, mais en fonction d’une prédiction aztèque : 12.00 le 21.12.2012. De nombreux amis nous avaient rejoints sur l’île pour nous souhaiter bonne chance et bon voyage, agitant leurs chapeaux sur le quai. Mais l’Ambassade du Dauphin ne pouvait lancer un tel évènement sans y convier les Baleines et les Dauphins. Nous avions fait de notre mieux pour les prévenir en avance, mais évidemment nous ignorions s’ils viendraient, car dans le monde des baleines toutes les formes d’obligations légales et de garanties dont se servent les humains n’existent pas.
Nos amis ne cessaient de demander, en plaisantant, si les baleines viendraient vraiment. C’était évidemment notre vœu le plus cher. Une heure avant midi nous partîmes avec une centaine de personnes sur un immense catamaran, et prîmes la mer. Il y avait de la musique, les verres tintaient, les titulaires du prix Nobel se faisaient photographier, et nous, nous comptions les minutes. À midi moins dix Nicole et Pablo allèrent revêtir leurs combinaisons de plongée (il avait été décidé que si tout se passait comme prévu, c’était eux qui iraient dans l’eau).
Les autres, très excités, s’exclamaient en observant le rivage superbe qui s’estompait au loin, mais c’était surtout une excuse pour examiner nerveusement la vaste étendue d’eau. À midi très exactement, les baleines pilotes (qu’on appelle Calderoni aux Canaries) apparurent, à cent mètres du catamaran, Montant tout simplement vers la surface, elles repoussaient l’air en soufflant avec bruit. Elles passèrent plus d’une heure avec nous. Oui, oui, nous sommes bien conscients qu’il ne s’agit peut-être que d’une coïncidence. Pour ce que nous en savons, bien sûr…
FABLE N°3 : UNE PROMESSE DE RETROUVAILLES
À l’époque où nous commencions à peine à concevoir notre futur voyage, quelque part en Europe nous fîmes la connaissance de Yongey Mingyur Rinpoche, et nous l’invitâmes à participer à notre expédition (bien qu’à l’époque nous n’ayons pas une idée précise de notre itinéraire). Il nous écouta avec grand intérêt, et promit de passer avec nous au moins une partie du voyage, sans faute. Mais peu avant le début de l’expédition, comme ses autres disciples nous recevions une lettre de lui nous annonçant qu’il s’apprêtait à faire une retraite, et qu’il cesserait tout contact avec le monde extérieur pendant trois ans.
Nous qui avions tant espéré le retrouver le long du chemin ! Le découragement s’empara de nous. Sa retraite, bien sûr, lui interdisait de nous rejoindre...
Nous avons commencé notre voyage, et un jour nous avons atteint le lointain et légendaire Népal. Des amis nous y attendaient pour nous aider à trouver ce que nous étions venus y chercher. Le tout premier jour, ils nous suggérèrent d’aller visiter un monastère peu fréquenté par les Européens, où vivent l’un des plus anciens lamas tibétains (98 ans) ainsi que le jeune Tulku, 19 ans, la Conscience Vivante du Bouddha.
Il y a plus de deux cents monastères dans la vallée de Katmandu, et nous avions bien l’intention d’éviter ceux qui vendent de l’éveil spirituel en portions prédécoupées à l’intention des touristes. Nous avions en nos guides une confiance totale.
Très vite, nous nous sommes retrouvés au sommet d’une colline qui dominait toute la vallée. Le vieux lama nous avait accordé une audience, et donné la permission d’assister à une cérémonie au temple.
Le gong retentit, appelant les moines à la prière. Les laissant passer devant, nous allions les suivre à l’intérieur du temple quand soudain, sur le seuil, nous fûmes frappés de stupeur. Face à l’entrée, là où se trouve habituellement l’autel, c’était Mingyur en personne qui nous souriait, sur une photographie mise en valeur par un bel éclairage.
« Mais c’est notre Rinpoche » avons-nous balbutié à nos guides.
« Non, c’est notre Rinpoche » répondirent-ils. « L’abbé du monastère. Il fait une retraite en ce moment ».
“Il avait promis de faire une partie du voyage avec nous”.
« Vraiment ? Alors c’est qu’il a rempli sa promesse ».
Nous sommes restés plusieurs jours.
Un gong offert par l’Ambassade du Dauphin est à présent suspendu face aux portes du temple. Et Tulku, le garçon qui avait mille ans, partagea avec nous l’étape suivante de notre voyage, celle qui nous mena jusqu’aux dauphins libres d’Égypte.
FABLE N°4 : LE NAGEUR ET LES ATLANTES
Au-delà de nombreux pays, loin des grandes villes, au milieu de l’océan, se trouve l’île de Bimini, qui fait partie des Bahamas. Elle mesure 4 kilomètres de long, et 150 mètres de large. Depuis le milieu de son unique « rue » on voit l’océan des deux côtés. Le long du rivage, sous la surface de l’eau, court une route pavée d’énormes blocs de pierre, construite en des temps immémoriaux, nul ne sait comment. Certains disent que c’est la route des Atlantes. Depuis le temps de l’Atlantide, les eaux qui recouvrent ces pierres sont le terrain de jeu favori des dauphins.
À Bimini, nous avions emmené un excellent nageur. Un champion du monde, en fait. Nous pensions, à le voir si bien bâti et si bon nageur, que les dauphins auraient un contact différent avec lui.
Il n’avait jamais nagé avec des dauphins en liberté, mais il en rêvait, et croyait ce rêve réciproque. Il pensait à l’image merveilleuse qu’il renverrait lors de sa rencontre avec eux.
Le grand jour arriva : notre navire en pleine mer, les ailerons des dauphins sillonnant l’eau tout autour de nous. L’homme effectue un plongeon parfait et... ne voit aucun dauphin. Ils étaient partis pendant son beau plongeon. Apparemment, telle était leur humeur du jour. Le lendemain, même chose. Le surlendemain aussi.
Cela dit, les dauphins n’étaient que trop contents de communiquer avec les autres membres de l’équipe, plus ou moins bon nageurs, mais ils restaient à l’écart du champion. Il tomba dans une mélancolie profonde. Assis sur le rivage, il lisait l’ouvrage dans lequel John Lilly décrit ses amis les dauphins. Il atteint la partie où Lilly utilise un scalpel pour insérer des électrodes dans le cerveau de l’un de ses amis dauphins. Juste pour mieux le comprendre.
Alors, le nageur entra dans la mer, se laissa tomber dans l’eau et resta là, sur le dos, pas trop loin du rivage. Il ne se souciait pas de son apparence, mais de la manière dont il demanderait pardon aux dauphins. Pardon pour Lilly, pour les dolphinariums, pour toutes nos imbécillités...
Nous pouvions le voir depuis le rivage. Nous avons vu comme l’eau s’est peuplée tout autour de lui. Nous l’avons vu se mettre à jouer avec eux.
FABLE N°5 : L’HOMME LÉOPARD
Cela se produisit dans le désert, près de la Mer Morte. Autrefois les Nabatéens sillonnaient le désert à la tête de leurs caravanes de chameaux, s’abritant pour la nuit dans des auberges ou parfois des châteaux situés à une journée de voyage les uns des autres. Certaines de ces forteresses sont toujours là, mais la plupart ont depuis longtemps été réclamées par le désert. Aujourd’hui, d’autres hommes font de leur mieux pour les rendre habitables à nouveau.
L’un d’entre eux est connu sous le nom de l’Homme Léopard. C’est pour le rencontrer que nous étions venus. Son véritable nom est Arthur. Arrivé il y a une vingtaine d’années, il est tombé amoureux du désert (oui, c’est possible) et il est resté. Au bout d’un moment, ou très rapidement, ayant appris à comprendre le désert, il est devenu guide. Il s’est alors bâti une maison à l’orée d’un petit village, s’est marié, a eu un enfant. Un jour, sortant de la maison pour aller dans la cour où jouait son fils, il voit un léopard. Maigre, affamé, et musculeux.
L’énorme chat était prêt à bondir. Mais Arthur le devança. Il mit tout son poids contre le léopard et le bloqua à terre des deux mains, l’enfonçant dans le sol. Seuls ses efforts désespérés maintenaient le léopard à terre. Ils restèrent ainsi, enlacés, tête à tête, pendant près de quarante minutes.
L’enfant avait pleuré toutes les larmes de son corps, la maison était vide. Alors Arthur se mit à murmurer à l’oreille du léopard. Il lui répétait qu’un si bel animal, un animal si fort, ne pouvait tout de même pas faire de mal à un si petit enfant. Et que personne ici ne lui ferait de mal non plus. Que pour vivre ensemble si près l’un de l’autre, il fallait vivre sans hostilité.
Soudain ses forces le quittèrent. Ses mains, engourdies, ne parvenaient plus à retenir l’animal. Le léopard se remit sur ses pattes, resta là un moment, regardant Arthur droit dans les yeux. Puis, il s’éloigna dans le désert.
Ce ne fut pas leur dernière rencontre. Plus tard on les vit souvent, assis côte à côte en silence, regarder le coucher du soleil...
Tout cela a-t-il vraiment eu lieu, nous n’en savons rien. Mais nous avons parlé à Arthur, nous avons vu ses yeux. On y lit que cette histoire est vraie. Évidemment, nous n’étions pas là pour vérifier le jour où c’est arrivé...
FABLE N°6 : FILLEUL BALENEAU
La merveille des merveilles est ici, sur terre. Une fois par an, au début du printemps, des milliers de baleines convergent vers Hawaï. Pendant deux semaines environ, on n’en voit presque plus : l’océan reste silencieux. Durant cette période les baleines ne jouent pas, se nourrissent à peine, et ne remontent que rarement à la surface pour respirer, avant de disparaître à nouveau. Suspendues sous l’eau, la tête en bas, à une profondeur relativement faible (30 à 50 mètres), elles chantent une chanson. La mélodie change légèrement chaque année, mais une seule fois par an. C’était donc une exclusivité que nous entendions : la chanson de l’année. Elle charge la Terre d’énergie. Nous étions venus à Hawaï pour assister à ces sessions de chant. Nous avions nagé avec les baleines, et enregistré leurs chœurs. Et chaque nuit, nous les avions vues en rêve... un matin très tôt, Nicole se vit dans son rêve avec un baleineau nouveau-né dans les bras. Ce qui est de fait impossible, car même à la naissance les baleines mesurent déjà trois mètres de long, et de plus, nul n’a jamais assisté à leur naissance – elles restent à l’écart des hommes dans ces moment-là.
Bien sûr, dans un rêve tout peut arriver. Le lendemain, nous sommes allés en mer. À bord de notre bateau, nous nous étions beaucoup éloignés du rivage de l’île quand soudain, nous avons vu une baleine. Elle respirait fort, restant à la surface sans s’enfoncer dans l’eau. Pensant qu’elle avait un problème, et espérant l’aider, nous nous sommes approchés en bateau. Alors, nous avons compris qu’il s’agissait d’une femelle sur le point d’accoucher. Les baleines naissent à la surface de l’eau, car comme les humains, le nouveau-né doit immédiatement respirer pour survivre.
Nous avons passé plus de quatre heures avec eux, nous avons vu le bébé baleine venir au monde, sa mère le poussant du nez vers la surface, son père inquiet les protégeant sous l’eau. Nous avons vu le petit se mettre à nager en rond autour de sa mère, sauter hors de l’eau pour la première fois, fasciné par le monde qui s’offrait à lui.
Nous sommes probablement les premiers humains à avoir assisté à un tel évènement, du moins c’est ce que l’on nous a dit. Quoi qu’il en soit, le plus important dans tout ceci est que nous avons eu l’impression d’assister à la naissance de Dieu. Il va vivre sa vie et quand il sera grand, ses yeux seront de la taille de nos têtes.
L’année prochaine nous le reverrons, et il nous reconnaîtra.
FABLE N°7 : UN MILLION DE FEUILLES DE PALMIER
Nous nous sommes toujours méfiés des diseurs de bonne aventure et des prophéties. Pourtant, nous avions très envie de rendre visite, en Inde, aux maîtres de l’art du Nadi Shastra, qui lisent votre avenir dans les feuilles de palmier. Une douzaine de scribes y travaillent, du lever au coucher du soleil – recopiant des registres anciens, ou en créant de nouveaux. Dans les profondeurs du bâtiment se cache un dépôt de feuilles fines, reliées entre elles comme des livres, où la destinée de milliers de gens se lit en tout petit...
Nous ne sommes pas parvenus à savoir si elles étaient rédigées ici, ou si on les y conservait simplement. Ici quand on arrive, on se présente, on attend que quelqu’un trouve votre livre, puis un indien très attentif entrouvre les pages fragiles et vous raconte – enfin, vous lit – des éléments de votre vie, la vôtre et celle de vos proches. Des éléments que vous aviez oubliés depuis longtemps, ou que vous ignoriez totalement.
Votre cerveau est soumis à une attaque intensive. Une fois de plus, le monde semble organisé d’une manière bien différente de ce que l’on vous avait appris à l’école. La justesse de ce que l’on vous annonce, ici dans ce pays lointain, est époustouflante.
Avant que le lecteur n’en arrive au moment présent, l’instinct de survie vous somme de le faire taire. Demain n’existe pas encore ; une description précise de ce qui vous attend ne vous dit absolument rien. Le lecteur s’arrête poliment. Plus tard, vous ne cesserez d’y penser : et si, en fait, il n’y avait rien d’écrit du tout ? Et si tous les livres s’arrêtaient pile au moment où leur personnage principal entre dans le dépôt des feuilles de palmier ?
Au lieu de vous raconter l’avenir, on vous conseille, avec précision et gentillesse, sur la marche à suivre pour emplir votre destin de joie.
Nombreux sont les exemplaires de ces petits livres faits de feuilles de palmier. Un million, peut-être... mais pas sept billions, tout de même ! Nous avons interrogé les gardiens, car la question semblait évidente.
« Pas besoin de sept billions de livres. La plupart des gens ne viendront jamais ici. Nous n’avons que les livres de ceux qui viennent. ».
Ah, d’accord ! Tout s’explique.
FABLE N°8 : LE DOCTEUR MIRACLE
Tout peut arriver, et il arriva donc qu’au Japon un membre de notre équipe tomba malade. Des contacts locaux – qui n’étaient pas fortuits – nous recommandèrent un médecin, qu’ils trouvaient miraculeux.
Ce médecin ne présentait aucun signe particulier, si ce n’est qu’il faisait très jeune pour ses soixante-dix ans. Ses yeux cependant le trahissaient : emplis de concentration et de non-sérieux, ils étaient dénués de la lassitude cynique commune à beaucoup de médecins de notre connaissance. Il alluma le poêle, y fit chauffer à blanc une pelle de métal, la toucha de la main – à notre plus grand effroi - puis plaça cette main sur le corps de notre ami, à l’endroit même où il souffrait. Le médecin ne garda aucune marque, mais le patient eut des brûlures sur le corps, lesquelles mirent quelques semaines à guérir. Le mal qui l’avait amené, par contre, disparut instantanément.
Nous avons offert de payer pour le traitement, mais l’homme a refusé. L’argent est une forme d’énergie, et l’énergie, il en débordait déjà et savait la diriger vers l’endroit requis, comme il venait de le faire sous nos yeux. Il ne semblait pas dérangé par le fait que selon les lois de la physique conventionnelle, ce qu’il venait de faire était impossible.
Il nous invita à rester quelque temps, et nous enseigna ce qu’il savait faire. Les rudiments, bien sûr. Des rudiments de tir à l’arc, par exemple. Un bon exercice pour les bras et les yeux.
De fait, la bodhisattva Guanyin (appelée Kannon en Japonais) guérissait grâce à une potion faite de bras et d’yeux. De ses yeux et de ses bras, elle soignait.
FABLE N°9 : DE LA NON-LOCALISATION DE LA CONSCIENCE
En Amérique, nous avons passé quelque temps avec Amit Goswami. C’est le premier physicien à avoir prouvé que la nature de la conscience n’est pas localisée, et que nous sommes en lien instantané ; que les notions de temps et d’espace peuvent être exclues de la formule qui décrit notre inséparabilité.
Avec lui, nous avons reproduit une expérience classique que la science conventionnelle rejette pour la raison suivante : elle ne peut être réfutée du fait de la réinitialisation des résultats, et elle ne peut être considérée comme vraie, car une telle acceptation obligerait tous ceux qui étudient ou enseignent les lois de la nature à démissionner sur-le-champ.
Pour cette expérience, on part de deux personnes très liées l’une à l’autre, « sur la même longueur d’onde ». On les installe dans deux pièces différentes, suffisamment éloignées l’une de l’autre, et de préférence derrière un écran ou un paravent. L’une de deux personnes a des électrodes sur la tête, qui enregistrent son activité cérébrale. L’autre est exposée à différents stimulus sensoriels irritants, sans ordre préétabli, tels que des flashes de lumière vive, des bruits forts et soudains, etc. Les chronomètres des deux pièces sont synchronisés.
L’encéphalogramme enregistre les réactions des différentes zones du cortex cérébral, répondant aux stimuli visuels, auditifs et kinesthésiques. Un flash lumineux. Un bruit. Un contact. Nous sommes dans deux parties différentes de la ville. Face à l’une des deux personnes, les lumières s’éteignent. Instantanément, les pupilles de l’autre s’agrandissent, dans le même quart de seconde.
Vous voyez ? Du moment que nous sommes sur la même fréquence, nous sommes inséparablement connectés.
FABLE N°10 : LES COULOIRS
Dans le golfe de Californie nous avons eu envie d’un bateau à voile, pour que le bruit du moteur n’interfère pas avec nos enregistrements ; nous voulions aussi un skipper qui nous comprendrait de manière implicite, et qui parle espagnol couramment, car nous étions au Mexique. Andrea se souvint d’un de ses amis du nom de Jésus. Par chance il était disponible, et nous rejoint en avion.
À part André, personne parmi nous ne connaissait Jésus. Mais, comme prévu, tout le monde l’aima, et il s’intégra immédiatement à l’équipe. Nous passâmes environ deux semaines ensemble. Le dernier jour, nous regardions les photos du voyage, quand Rafa décida de nous montrer un film sous-marin qu’il avait réalisé deux ans auparavant. À la fin du film, comme toujours, le générique défilait quand Jésus, qui regardait l’écran, y lut le nom de famille de Rafa. Il se leva d’un bond.
Jusqu’alors nous nous étions passés des noms de famille, nous appelant l’un l’autre par nos prénoms.
« C’est ton nom de famille ? » demanda Jésus à Rafa.
« Ben, oui. » répondit-il.
“Il n’est pas commun… J’étais en classe avec un type qui portait le même nom. En plus il s’appelait Rafael. Nous étions amis, mais à la fin de l’école primaire il est parti ».
Dans un autre monde, il y a un quart de siècle, ils s’étaient assis côte à côte. Ils ne s’étaient plus revus depuis. La probabilité qu’ils se rencontrent à nouveau était quasiment nulle.
Une simple coïncidence. Quoi d’autre ?
FABLE N°11 : LE DRAGON VOLANT
Il était une fois un Dragon qui vivait au-delà des montagnes bleues et des forêts lointaines. Le Taoïsme est né dans les Montagnes Sacrées de Chine, et comme l’extraordinaire médecine et les arts martiaux qui eux aussi en sont originaires, il a très peu souffert de la Révolution Culturelle et de ses impériales destructions. Les chemins séculaires empruntés les moines, ces routes étroites qui serpentent de grottes d’ermites en monastère, ont découragé les bulldozers.
Ici, nous avions en permanence le sentiment que le Dragon, cette personnification de l’énergie dans les mythes orientaux, était toujours vivant. Tout en était la preuve. Les tuiles, sur le toit du monastère, formaient les écailles de sa queue, les nuages au-dessus des hautes montagnes alentour étaient son souffle, et les sommets eux-mêmes rappelaient son dos en dents de scie.
Près de là où nous vivions se trouvait une grotte sacrée – inaccessible, à moins d’en connaître le chemin. Quand on nous l’eut montrée, nous nous y rendîmes chaque jour. On ressentait là, à travers chaque cellule de son corps, quelque chose qui ne peut être décrit par des mots, ni confondu avec un autre sentiment.
Dans cette grotte vit un professeur de Tao âgé de 90 ans, qui dit-on est le gardien de l’esprit de la montagne. Nous venions nous asseoir auprès de lui et de son rucher. De temps en temps, nous lui posions une question. À propos du Dragon, notamment. Par exemple, nous l’interrogions sur la crainte qu’engendrent habituellement les dragons. À cette occasion, il écrivit sur un bout de papier : « N’ayez pas peur, car les Sanctuaires aussi ont des yeux » et nous l’offrit en cadeau.
Un jour, nous lui avons demandé ce en quoi consistait son travail. « Je m’assieds là », a-t-il répondu en plissant les yeux très fort, « Je ne sais rien. Je ne me souviens de rien. Je suis attentif à tout. Et je grandis... »
Nous lui rendions visite le jour, et passions la nuit dans un vieil hôtel en contrebas dans la montagne. En nous endormant, nous entendions comme un bruit d’ailes palmées qui fendaient l’air.
FABLE N°12 : A LA RECHERCHE DE L’ÉLIXIR
En fait, l’idée de notre tour du monde a germé en nous un soir à Paris. Nous étions réunis avec quelques amis et cherchions une destination pour Noël. L’un d’entre nous avait apporté un vieux livre écorné, déniché quelque part chez les bouquinistes de la rue Flamel.
Dans un français désuet, y étaient mentionnés en vrac un élixir de vie, la pierre philosophale et le cinquième élément. La page de garde, ornée d’une lithographie miteuse, montrait deux mystificateurs censés être à l’origine de ces fantaisies alchimiques.
« Va là où ne sais ; trouve ce qu’ignore... »
Notre petit groupe se passionna pour ces étranges directives... En un mot comme en cent, nous y vîmes comme un défi et décidâmes d’élucider le mystère. Des mois plus tard, notre voyage touchait à sa fin, quand quelque part au Maroc, plus précisément dans le port de Mogador, Moustache (qui a peut-être inventé ce qui suit) tomba nez à nez avec un couple d’excentriques qui s’exprimaient dans un français plutôt démodé. Il les reconnut...
Ils semblaient regarder un spectacle local, une sorte de comédie burlesque, ou peut-être la dirigeaient-ils de manière invisible. Moustache s’assit à leur table. Il leur parla du livre et de la quête. Ils écoutèrent avec attention, puis demandèrent simplement :
« Alors, avez-vous trouvé « ce que point ne savons » ? »
« Oui », répondit Moustache.
« Hum-hum... c’est beau, n’est-ce pas ? »
« Indescriptible ! »
« Serez-vous à même de le transmettre à d’autres ? »
Moustache se mit à y réfléchir et pour gagner du temps alla se chercher une tasse de thé au bar. Quand il revint à leur table, il n’y avait plus personne.